XVIIe-XVIIIe siècles
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Les imitations françaises du théâtre hispanique du Siècle d'Or connurent, entre 1630 et 1660, un épanouissement paradoxal compte tenu de leurs divergences esthétiques respectives. Brossant le contexte culturel dans lequel s'inscrit ce mouvement d'imitation et rappelant les caractéristiques de la comedia, Catherine Marchal-Weyl étudie les personnages dans les tragi-comédies et comédies de trois auteurs en l'occurrence représentatifs : Rotrou, Boisrobert et Scarron. Les transformations dont ils affectent leurs modèles soulignent que leur intérêt tient à l'exaltation des valeurs nobiliaires, à travers une dramaturgie des fausses apparences construite autour du déguisement d'identité. L'adaptation de la comedia en dénature ainsi la structure, modifiant l'équilibre des personnages, qui tendent à devenir des caractères. Enfin sont mises en évidence l'évolution et les constantes d'une vague d'adaptations qui nourrit, sur les plans structurel et thématique, le renouvellement du théâtre français du premier XVIIe siècle, et dont l'examen permet de dégager des préceptes de bienséance et de vraisemblance, communs aux deux théâtres, des conceptions opposées de l'illusion dramatique.
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Le dernier volume de la Correspondance de Fénelon enrichit notre documentation par l'édition des nombreuses lettres apparues depuis 1972, quand a débuté l'entreprise éditoriale de Jean Orcibal, Jacques Le Brun et Irénée Noye, que ce soit dans des bibliothèques en cours de consultation, dans des fonds d'archives récemment ouverts aux chercheurs - par exemple les archives du Saint-Office explorées par le regretté Bruno Neveu -, ou dans les ventes publiques de ces dernières décennies. A ces documents nouveaux sont jointes les lettres qui, ne portant mention ni de date, ni de destinataire, n'avaient pu être publiées à leur place dans les tomes précédents : ce sont essentiellement des missives du plus haut intérêt pour mieux connaître la spiritualité de l'archevêque de Cambrai. Elles illustrent également le tarissement progressif de la forme épistolaire dans les correspondances et la transformation progressive de ces dernières en traités et en opuscules spirituels. Une importante liste d'errata complète l'ensemble et vient corriger nombre de détails dans les lettres et dans les notes des dix-sept premiers tomes. Avec ce volume de compléments, nous disposons de l'édition de référence d'une des correspondances les plus importantes du XVIIe siècle, celle d'un grand écrivain, théologien et auteur spirituel, qui fut mêlé à tous les débats religieux, intellectuels et politiques du siècle de Louis XIV.
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Education, Transmission, Rénovation à la Renaissance regroupe les actes d'un colloque organisé du 3 au 6 décembre 2003 par le CRCI (Centre de Recherche sur la Circulation des Idées) et le GADGES (Groupe d'Analyse de la Dynamique des Genres et des Styles). La double approche philosophique et littéraire, sous le patronage de Madame Jacqueline de Romilly qui ouvre les travaux, s'intéresse à la permanence de l'humanisme à travers sa dimension la plus fondatrice, l'éducation. Éduquer, transmettre, rénover, tels ont été les maîtres mots d'une réflexion destinée à éclairer le débat actuel sur l'humanisme. Que partageons-nous avec les humanistes de la Renaissance ? Peut-être une même expérience de la rupture dans l'éducation et dans sa transmission. L'imprimerie et Internet bien sûr, chacun en leur temps, conduisent à penser cette transmission comme un enjeu spirituel et intellectuel central. La puissance de la nouveauté, il faut se l'approprier et l'articuler avec les ressources du passé. L'humanisme est riche de toutes ces réformes, rénovations, retractatio et repastinatio, et autres formes de restitutions qui n'expriment que le libre exercice d'un pouvoir critique qui seul permet à une culture née dans des conditions données de formuler une prétention à l'universalité.
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Lorsque Charles Sorel publie sa Description de l'île de Portraiture et de la ville des Portraits en 1659, la « fureur » de se faire peindre a gagné le milieu mondain, tandis que de nombreux écrivains s'adonnent à la manie des collections de tableaux. Parallèlement, la mode du portrait littéraire atteint son apogée. Sorel témoigne de cet engouement en traçant le parcours d'un « curieux », Périandre, dans une île peuplée de portraitistes « de toutes sortes ». A l'observation de ces artistes se juxtapose la satire de leurs vaniteux modèles, dont le corps travesti et le visage masqué n'attendent qu'à être découverts et ridiculisés.
Les extraits que publie Martine Debaisieux en annexe à son édition indiquent que la production romanesque de Charles Sorel privilégiait déjà la portraiture. Mais, dans son voyage imaginaire, où se mêlent fantaisie et critique, l'auteur va plus loin. S'il révèle une fois de plus les vices de son siècle, il expose aussi ouvertement les impostures de la mimésis et le mensonge des « figures » - qu'elle soient tracées par la plume ou par le pinceau.
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L'année 2004 a été notamment marquée par le trois centième anniversaire de la mort des deux plus grands prédicateurs français Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) et Louis Bourdaloue (1632-1704). Poursuivant ses recherches sur la dynamique des genres, le GADGES publie les actes du colloque tenu à Lyon en octobre 2004 sur l'éloquence religieuse en France au XVIIe siècle. Bien des voies y ont été explorées : on a ainsi montré qu'avant Bossuet, des orateurs de talent avaient ouvert le chemin (Du Perron, saint François de Sales). A l'époque où parlait l'évêque de Meaux s'exprimaient aussi d'autres grands prédicateurs - Bourdaloue, Mascaron, en attendant Massillon, et surtout des prédicateurs protestants. Enfin, plusieurs communications ont été consacrées à l'étude de la théorie et de la stylistique du sermon au XVIIe siècle. Du Temps des beaux sermons se dégage une problématique féconde, en particulier sur les rapports entre la rhétorique et l'éloquence sacrée : la vérité chrétienne nécessite-t-elle le support profane des sortilèges de la rhétorique ? Dans ce monde imparfait, marqué par le péché et le mythe de la Tour de Babel, le prédicateur se voit contraint de situer son propos dans un espace incertain, à mi-chemin entre la transparence et la théâtralisation, entre l'absence et la présence, entre le vide et l'éclat. Assurément, le sermon est l'un des genres les plus fascinants, à la fois objet esthétique et moment liturgique. De cette tension naît un discours à la fois attendu - puisque le contenu est fixé par le dogme catholique ou la familiarité protestante avec la Parole de Dieu - et toujours surprenant, hésitant entre une formulation ornée et une expression véhémente.
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Entre 1751 et 1772, best seller européen, l'Encyclopédie Diderot et d'Alembert illustre l'encyclopédisme selon les Lumières. Confrontant la critique philosophique, l'esprit voltairien, le naturalisme et l'empirisme lockien, elle assemble les « branches infiniment variées » de la connaissance humaine en inventoriant les « sciences, les arts et les métiers ». L'entreprise matérielle et intellectuelle des encyclopédistes est aujourd'hui bien connue. A contrario, l'Encyclopédie méthodique l'est moins. Conçue à Paris par le capitaliste de la librairie Charles-Joseph Panckoucke, puis éditée entre 1782 et 1832 par lui, par son gendre Henri Agasse et finalement par sa fille Pauline Agasse, l'«encyclopédie suprême» est constituée de plus de 200 volumes illustrés d'environ 6500 planches gravées. Mise en vente par souscription sous le règne de Louis XVI, continuée durant la Révolution et l'Empire malgré l'inflation et les troubles politiques, difficilement terminée sous la monarchie de Juillet, l'Encyclopédie méthodique une fois achevée est cinq fois plus volumineuse que les 25000 pages de l'Encyclopédie Diderot et d'Alembert. Penser la complexité épistémologique des cinquante dictionnaires spécialisés qui constituent la Méthodique : tel est l'objectif de cet ouvrage collectif. Il est le premier à être consacré en français à la dernière encyclopédie des Lumières, laquelle, à l'aube du positivisme, oscille entre le savoir encyclopédique et une encyclopédie des savoirs.
Claude BLANCKAERT (Centre Alexandre-Koyré, Directeur de recherches, C.N.R.S.) est un spécialiste de l'histoire de l'épistémologie et de l'anthropologie entre les Lumières et le XIXe siècle. Fabrice BRANDLI (Assistant en histoire moderne au département d'histoire générale de la Faculté des lettres de l'Université de Genève) rédige une thèse sur la diplomatie au temps des Lumières. Michel PORRET (professeur d'histoire au département d'histoire générale de la Faculté des lettres de l'Université de Genève) enseigne l'histoire moderne. Ses recherches portent notamment sur l'histoire intellectuelle et institutionnelle des délits et des peines, du corps, de la médecine judiciaire et de la censure des imprimés au temps des Lumières.
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« Il y a peu de gens qui osent dire ce qu'ils croient », lit-on dans le Discours de la méthode. René Descartes fait sienne la constatation lorsqu'il évoque, toujours dans le Discours, certaines de ses réticences pour : « des personnes à qui je défère, et dont l'autorité ne peut guère moins sur mes actions que ma propre raison sur mes pensées. » Autrement dit : je suis le maître de ma pensée, ma raison est la seule autorité qui la gouverne ; mais l'« action », en l'occurrence le langage qui communique ma pensée, ne jouit pas de la même liberté.
A des idées évidentes, claires et distinctes ne correspond donc pas nécessairement un discours transparent. Inversement, un discours n'est jamais à ce point transparent qu'il ne puisse comporter, dans les plis et les replis du texte, une autre configuration de la « vérité », moins claire et évidente qu'il n'y paraît, non acceptée et non souhaitée, celle précisément qu'on désire réprimer. Tel est le point de départ de l'essai que Fernand Hallyn consacre à ce que Descartes dissimule aux autres - et parfois à lui-même.